La Pologne est plus qu’un avion
En s’écrasant à Smolensk, l’avion du Président de la République polonaise, Lech Kaczynski a fait revivre au peuple polonais un douloureux souvenir : celui de la disparition de ses élites, avalées par l’Histoire. Si le parallèle avec 1940 est dans tous les esprits, la Pologne, elle, a changé.
Les chiffres ont longtemps été incertains : entre 83 et 132. Il semblerait maintenant que ce soit 96 personnes qui aient péri dans le crash de l’avion présidentiel polonais, le 10 avril 2010 à Smolensk. Perdre un Président en exercice est toujours une situation délicate pour un pays. Celle de Lech Kaczynski ne fait pas exception. 20 ans après sa transition, la Pologne va devoir prouver la solidité et stabilité de ses institutions démocratiques.
Une comparaison facile
Mais ce qu’il y a de retentissant dans cet évènement, c’est la liste des autres victimes qui regroupe les plus grands noms de l’élite militaire, financière et politique du pays. Gouverneur de la Banque centrale polonaise, chef de l’état major, candidat à la présidentielle, dignitaires religieux, personnalités historiques, etc.
Et symboliquement, que cela se passe à quelques dizaines de kilomètres de Katyn, là où en 1940, plusieurs milliers d’officiers polonais furent assassinés par le NKVD (police politique soviétique) rend l’évènement encore plus douloureux. Comme si l’élite polonaise était condamnée à être décapitée sans fin.
Nombre de commentateurs, polonais ou non, parlent de ce nouveau « Katyn ». Une telle comparaison est facile, populiste et dénuée de sens. Ce n’est qu’une réponse émotionnelle, ne reflétant pas la réelle situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la Pologne.
Kaczynski ou la Pologne d’avant-guerre
En tuant en 1940, près de 22 000 officiers, les soviétiques avaient réellement atteint leur but : mettre à genou l’élite d’un État tout juste reconstruit après 123 ans de partition (entre 1795 et 1918, la Pologne n’existe pas, et n’est ensuite indépendante que jusqu’en 1939 et l’invasion germano-soviétique). On imagine les conséquences dans un pays de 30 millions d’habitants à 80% rural, qui perdra en parallèle 5,5 millions de citoyens. Il aura fallu près de 40 ans et Solidarnosc pour qu’une élite indépendante du régime communiste émerge réellement.
Mais si aujourd’hui, la perte est grande, la Pologne saura y faire face. La Pologne de 2010 n’a plus rien à voir avec celle de 1940. Son socle est bien plus grand que ces 96 personnes et sa population est maintenant éduquée, bien formée et aucune puissance ne menace d’envahir demain son territoire. L’âme polonaise, même meurtrie, vivra.
Cette tragédie est aussi le moment pour les Polonais de faire le bilan du chemin parcouru depuis 1945 et 1989. Et de réajuster leur système de pensées, leur façon de voir l’Europe, le Monde. En ce sens que Lech Kaczynski symbolisait l’esprit de la Pologne d’avant 1939 : catholique, nationaliste, conservateur, contre les droits pour les homosexuels, autant anti-russe qu’anti-allemand, tout en étant méfiant envers l’Europe de l’Ouest. Son mode de pensée était encore ancré dans le XXème siècle. Qui ne se souvient pas en 2007, lors des négociations autour du Traité de Lisbonne, qu’il osa demander, avec son frère alors Premier ministre, plus de sièges/votes pour son pays au Parlement européen et au Conseil, au détriment de l’Allemagne, en guise de réparation de la Seconde Guerre Mondiale et sous le couvert mathématique que sans la guerre, la Pologne aurait 66 millions d’habitants (au lieu de 40). Pathétique et purement électoraliste.
Moderniser son élite
Avec ses ambitions de puissance régionale et de devenir un des Grands de l’Union européenne, la Pologne doit maintenant entrer pleinement dans la « nouvelle Europe ». Elle ne peut à la fois réclamer sa place en tant que nation européenne, tout en restant bloquée dans un schéma mental pré-déclaration de Schuman en quelque sorte.
La reconnaissance de Katyn par les autorités de Moscou n’était qu’un premier pas du long processus de réconciliation entre la Pologne et la Russie. La réaction rapide, claire, et sans ambiguïté du Président Medvedev qui décréta le lundi 12 avril 2010 journée de deuil national, une preuve de sincérité. Il reste alors à disperser de l’imaginaire national et du discours politique, une possible implication des Russes dans le crash de l’avion. Si une telle chose semble difficile à imaginer, une fraction du parti de Kaczynski, Droit et Justice (PiS), ne demande qu’à lancer le débat.
En parallèle, il ne faut pas oublier l’autre voisin : l’Allemagne, que le Président défunt accusait d’avoir des visées hégémoniques en Europe.
Bien d’autres chantiers attentent le pays. L’homosexualité, l’immigration, la place de la religion, l’avortement sont des débats de société qui n’ont encore presque pas le droit de cité dans l’espace public, au nom de règles préétablies datant d’une autre époque.
C’est le défi qui attend la Pologne, une fois le deuil passé. Moderniser son élite qui n’est pas morte le 10 avril 2010. Loin de là. En finir avec le poids écrasant de ceux qui ont fait Solidarnosc, pour laisser la place à des personnalités libérées du poids du passé.