Massacrez-les tous, Staline vous regarde

[1 août 2011] « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. Eh bien ! puisque l’ennemi qui tenait Paris a capitulé dans nos mains, la France rentre à Paris, chez elle ».

Ce discours, en France, tout le monde le connait.

Ce sont les mots du général de Gaulle, lors de la libération de Paris. Le 25 août 1944, la 2ème Division Blindée rejoint les insurgés, qui affrontent depuis quelques jours les reliquats de la Wehrmacht (qui s’était fait mettre en pièce en Normandie) dans les rues de la capitale.

Ce qui est moins connu, c’est qu’à l’heure où les Français célébraient le retour de la liberté, les Polonais et plus précisément les habitants de Varsovie, se battaient toujours pour elle, avec l’énergie du désespoir, devenant les premières victimes de la future guerre froide.

De quoi je parle ?

Je parle de l’insurrection de Varsovie, il y a 67 ans de cela. Le 1er aout 1944 à 17h. Elle ne s’est terminée que deux mois plus tard, le 2 octobre par la victoire des troupes allemandes.

Petit retour sur cet évènement que la Pologne commémore aujourd’hui.

En juillet 1944, l’armée d’Hitler recule sur tous les fronts. Depuis mars, l’armée Rouge attaque le front central, en Russie blanche (aujourd’hui Biélorussie, ce qui en russe veut dire la même chose). Voyant les troupes soviétiques s’approcher de Varsovie, la résistance polonaise prépare le soulèvement.

Depuis le franchissement de la frontière polonaise le 13 juin 1944, le NKVD (police politique soviétique) a la fâcheuse tendance de fusiller les résistants non communistes pour instaurer une administration à la botte de Moscou. Et ça, pour l’Armia Krajowa (l’armée nationale), pas question : s’ils se battent, c’est pour une Pologne indépendante de toute influence étrangère.

L’objectif de cette insurrection est de pouvoir accueillir les troupes de Staline en position de force.

C’est donc tous les mouvements de résistance, qui le 1er août rentrent en action. On estime qu’environ 50 000 hommes prennent les armes. Leur manque d’expérience et de coordination les empêchent d’atteindre tous les objectifs qu’ils se sont fixés : beaucoup de points stratégiques restent aux mains des troupes allemandes. Et surtout, la réaction de l’ennemi ne se fait pas attendre : envoi rapide de troupes aguerries (dont des SS) et de matériels lourds : chars, artillerie.

Pas question pour les Allemands de perdre la ville, un des derniers remparts avant Berlin.

Conscient de leur infériorité, les Polonais se mettent rapidement sur la défensive et décident d’attendre l’arrivée des troupes soviétiques. Sauf qu’à la nouvelle de l’insurrection, Staline leur ordonne d’arrêter leur avance à quelques kilomètres de Varsovie.

Le massacre peut commencer.

Officiellement, les troupes russes sont usées par plusieurs mois de combat, le ravitaillement (en particulier pétrolier) manque et les forces allemandes sont trop fortement retranchées.

Désolé, mais impossible de vous aider, kamarades Polonais…on arrive dès qu’on a fait le plein.

Officieusement, Staline ne souhaite qu’une chose : que l’ensemble de la résistance polonaise soit purement et simplement écrasée, pour avoir le champ libre dans la Pologne d’après-guerre. Les pions de la Guerre Froide se mettent en place. Le sadisme soviétique ira même jusqu’à fusiller des soldats polonais incorporés dans l’armée Rouge qui tentent de secourir leurs compatriotes.

Voyant que les Russes ne bougent pas, la Wehrmacht et les SS s’en donnent à cœur joie. La répression est sans pitié. Le 5 août, 50 000 civils sont massacrés, dans le quartier de Wola. En deux mois, 170 000 habitants sont tués et 700 000 fuient la ville.

Après les bombardements aériens de 1939 et l’insurrection du ghetto juifs en 1943, c’est la troisième fois en cinq ans que Varsovie se transforme en champ de bataille.

Les forces aériennes alliées tentent bien de parachuter du ravitaillement aux insurgés, mais rien d’extraordinaire. La politique prime sur la survie de la résistance polonaise.

Méthodiquement, les quartiers, rues, maisons sont reprises un à un, à l’arme lourde. Les insurgés se battent souvent jusqu’à la dernière cartouche, sachant que le statut de prisonnier ne les sauvera pas. 18 000 seront tués et 25 000 blessés. Ce n’est que 63 jours après le premier coup de feu que la résistance, finalement, se rend. La ville est alors détruite à 85%. Les stigmates sont encore visibles aujourd’hui, toujours présents dans l’esprit des Polonais.

Il n’y a donc pas eu de grands discours à la de Gaulle. Seulement l’incompréhension pour ceux qui se battent depuis cinq ans. Malgré la défaite de 1939, les soldats polonais ont combattu sur tous les champs de bataille alliés: Bataille d’Angleterre, Italie, Normandie, Russie.

Le Général Kazimierz Sosnkowski, chef suprême des armées polonaises (basé à Londres), écrit dans l’ordre du jour du 1er septembre 1944 :

« Cinq ans sont passés depuis le jour où la Pologne, avec l’encouragement et les garanties du gouvernement britannique, se lança dans le combat contre la puissance allemande (…) Aujourd’hui, depuis un mois les combattants de l’Armia Krajowa ensemble avec le peuple de Varsovie, saignent en solitaire sur les barricades dans la lutte inégale avec un adversaire surpuissant. (…) Le peuple de Varsovie, a été laissé à lui-même sur le front de la guerre commune contre les Allemands – voici la tragique et monstrueuse énigme que nous Polonais n’arrivons pas à déchiffrer dans le contexte de la supériorité technique des Alliés en cette cinquième année de la guerre. (…) Les experts nous expliquent que l’aide à Varsovie est techniquement difficile, on nous fait la leçon d’optimisation des coûts et des profits. Si compter il faut, alors souvenons nous que les pilotes de chasse polonais durant la Bataille d’Angleterre ont perdu plus de 40% des leurs. Seulement 15% des avions ont été perdus durant les essais d’assistance à Varsovie. (…) Si les habitants de la capitale polonaise devaient périr sous les ruines, si la passivité, l’indifférence ou le calcul froid les aient laissés se faire massacrer – alors sur la conscience du monde pèserait un poids de souffrance horrible inédit dans l’histoire ».


Note du 1er août 2016: je remets ce billet de blog sur les réseaux sociaux car il met en lumière un des événements marquants qui explique encore aujourd’hui l’attitude d’une partie de l’élite polonaise conservatrice et/ou nationaliste qui se considère comme une victime de l’Histoire. Le parti au pouvoir depuis octobre 2015 à Varsovie (PiS) estime que les fonds structurels européens venus de l’Ouest ne sont qu’une juste réparation pour les malheurs du XXe siècle, et qu’il ne s’agit en rien d’une solidarité tournée vers l’avenir.