Deux jours dans les entrailles du Parlement
Une plénière du Parlement dure 4 jours. Dans les faits, l’essentiel du travail et les textes les plus importants sont examinés le mardi et le mercredi. C’est aussi durant ces 48 heures que le travail des journalistes se concentre. Les briefings, conférences de presse, déjeuners avec les groupes politiques ou rencontres informelles avec diverses sources s’enchaînent à un rythme soutenu.
Pour le rendez-vous du mois de juin, deux grands sujets étaient à l’ordre du jour:
- le vote d’une résolution sur l’accord de libre échange avec les Etats-Unis [TTIP pour les intimes],
- et l’examen [avec vote aussi] de la directive sur les droits des actionnaires [qui comprenait des amendements pour lutter contre l’optimisation fiscale des multinationales, d’où son importance].
Manque de bol pour les intrépides correspondants bruxellois qui s’étaient aventurés en terre alsacienne, les divisions internes aux socialistes, et les conflits entre gauche et droite ont fait capoter les deux scrutins. Ils sont maintenant reportés à plus tard, il nous faudra revenir
[pour en savoir plus, le résumé de l’ambiance qui règne actuellement au sein de l’hémicycle, sur Contexte]
Mais d’ici là, une série de clichés pris durant ces deux jours, pour donner vie à une institution encore largement ignoré de ses citoyens.
Mardi 9 juin
9h: la délégation “francophone” des Verts [aka, quatre français et un belge pour l’occasion] ouvre le bal, avec un briefing sur les sujets de la plénière. Les échanges sur le TTIP occupent 90% de l’heure.
Avec les écologistes, faut avoir la cervelle bien accrochée, car il n’est pas rare qu’ils te prédisent plusieurs fois la fin du monde en une seule conférence de presse.
De gauche à droite: José Bové, Yannick Jadot, Pascal Durand, Michèle Rivasi, Philippe Lamberts.
10h: passage éclair en salle de presse. Voici à quoi ressemble nos plans de travail, avec tout ce qu’il faut dessus: plein de prises de courant, un poste vidéo pour regarder en direct les débats dans l’hémicycle et une connexion Internet.
Là, vous apercevez un confrère italien, qui travaille pour plusieurs médias de son pays. Il s’apprête à enchaîner deux journées de 12 heures pour répondre à toutes les commandes de ses patrons, et ainsi rentabiliser son voyage.
“En une journée, je peux parfois gagner autant qu’en une semaine. Ca permet ensuite de compenser quand tu n’es pas payé pendant tes vacances”.
Les joies du statut d’indépendant.
10h15: allez, une autre petite conférence de presse, avec les socialistes cette fois, et dans la grande salle prévue à cet effet. Tous les groupes vont s’y succéder jusqu’à 11h30, pour présenter leurs positions sur les votes à venir.
De gauche à droite: Bernd Lange [Allemagne, président de la commission du Commerce international], Gianni Pittella [Italie, chef du groupe S&D du Parlement], une attachée de presse dont je ne connais pas le nom.
Les deux hommes ont été vivement critiqués durant toute la plénière pour avoir géré n’importe comment la résolution du TTIP. Fin mai, ils avaient accepté un texte de compromis avec la droite sur la question des tribunaux d’arbitrage, avant de changer d’avis, et de déposer de nouveaux amendements, provoquant la colère des conservateurs.
Résultat, face au risque de voir le Parlement rejeter le projet de résolution censé définir sa position sur l’accord de libre-échange [qu’il devra ratifier une fois négocié], le président de l’institution, Martin Schulz, a reporté le vote [vieille manie européenne, comme quoi dire “non”, c’est malpoli].
10h20: pendant que toi, tu prends des photos et n’écoute pas un mot de ce que raconte le monsieur, des consœurs et confrères studieux.
12h15: allez, toi aussi, viens te perdre dans les couloirs et ascenseurs du Parlement.
13h15: déjeuner avec les socialistes français. Les oreilles de Pittella sifflent.
Début d’après-midi: le bar presse, le lieu de toutes les conversations et confidences.
16h15: toujours le bar presse, dont quelques tables sont réquisitionnées par Tokia Saifi et Franck Proust, deux députés français LR.
Leur objectif: nous expliquer qu’ils sont contre les tribunaux d’arbitrage privés et que le compromis que rejettent maintenant la gauche actait déjà la fin de ce mécanisme [la réalité est un peu plus floue car le texte est mal foutu].
Les oreilles de Pittella continuent de siffler [et aussi celles des socialistes français].
21h: enfin sorti du Parlement, tu te dis qu’une petite spécialité alsacienne te ferait le plus grand bien. La soirée est le moment de se retrouver entre journalistes pour discuter de la journée, échanger ses infos. Tu peux aussi choisir de profiter du dîner pour voir des assistants parlementaires, députés, etc.
Les nuits strasbourgeoises sont aussi l’occasion de voir un commissaire européen boire des verres avec les membres de son cabinet à quelques mètres de toi, ce qui t’oblige à tendre l’oreille. Mais ça, c’est une autre histoire.
Mercredi 10 juin
Dans la matinée: durant les plénières, il n’est pas rare de croiser des groupes de visiteurs. Chaque député dispose d’un budget annuel pour inviter des personnes de sa circonscription. Cela se fait aussi durant les semaines à Bruxelles.
Faut juste éviter de se retrouver à un portique de sécurité au même moment qu’eux sinon, deux choix s’offrent à toi: attendre 15 minutes qu’ils aient tous effectué les contrôles, ou passer pour un salop en dépassant toute la file car tu es déjà à la bourre pour ta conférence de presse.
11h: nos amis les interprètes. Encore une petite conférence de presse de Gianni Pittella et Bernd Lange qui tentent désespérément de justifier leur “oui mais non, enfin voilà quoi, puis Martin Schulz, la droite, tout ça, vous comprenez“.
Vers 11h30: oh, tiens, Jean-Luc Mélenchon. On dirait que BFM a beaucoup moins de mal à décrocher une interview avec lui que moi durant les Européennes [dizaines de sms orphelins de réponse, sans parler des messages perdus dans le vide d’un répondeur, et deux lapins au compteur].
À partir de 12h: début des votes en plénière. Malgré l’annulation de celui sur le TTIP et le droit des actionnaires, quelques textes sont encore au menu.
La résolution sur les relations avec la Russie provoque des remous à l’extrême droite. Le FN fait le show, en s’opposant à chaque amendement qui met en cause le régime de Poutine. C’est important de défendre ses bons copains.
23h: les mercredis après-midis sont plus calmes que les mardis. Ils permettent d’écrire des articles plus longs, de mettre en perspective le déroulement des deux jours qui viennent de s’écouler.
Il reste toujours quelques votes prévus pour le jeudi mais ils sont peu suivis. Ils concernent les affaires étrangères, domaine dans lequel le Parlement n’a pas de compétences réelles.
Alors, une fois ton boulot terminé, un petit coup de fil à Paris pour prévenir ta rédactrice en chef qu’elle peut relire l’article avant publication, tu peux profiter une dernière fois de Strasbourg by night avec les consœurs et confrères.
Crédits photos: CC By nc-sa