Crise existentielle chez les Suédois
L’entrée de l’extrême droite au Parlement suédois a marqué un tournant dans la vie politique du pays. Mais aussi et surtout dans l’esprit des citoyens.
L’image que renvoie la Suède au monde entier est celle d’un pays développé, riche, dynamique, ouvert, pacifique, égalitaire et peuplé de gens éduqués, parlant trois ou quatre langues de façon très polie. Même si la liste n’est pas exhaustive, elle laisse penser au pays rêvé par tout citoyen.
Du nazisme au politiquement correct
Cette perception, les Suédois l’ont aussi. « La société a une vision extrêmement positive d’elle-même », commente Daniel Poohl, rédacteur en chef du magazine Expo, ayant la particularité de surveiller les mouvements d’extrême droite dans le pays. « Nous pensons que nous sommes meilleurs que les autres, que nous sommes la conscience du Monde, que nous ne sommes pas comme les autres. Comme si les Suédois n’avaient pas de côté de obscur. Par exemple, à l’école j’ai appris que durant la Seconde Guerre Mondiale, alors que l’Europe exterminait les Juifs, la Suède les a sauvé ». Sans préciser en même temps que le gouvernement de l’époque avait donné l’autorisation à l’armée allemande de traverser son territoire pour accéder plus facilement à la Norvège. Si tout le monde a oublié cette page de l’histoire, les Norvégiens moins.
Toutefois, le résultat des élections du 19 septembre dernier remet en question cette belle image. Pour la première fois, un parti d’extrême droite, les Démocrates Suédois (SD), siège dans le nouveau Parlement, ayant obtenu 5,7% des voix. Un tremblement de terre dans la politique du pays. Ce parti, issu de la fusion de plusieurs groupuscules nazis en 1988 a su muter en organisation respectable, normalisant son discours et expulsant les cadres les plus extrêmes. Plus question de demander le renvoi de tous les immigrés chez eux. Aujourd’hui, il s’agit « d’optimiser » le flux migratoire. Même le logo a été repensé: une flamme similaire à celle du Front National a été abandonnée au profit d’une pâquerette bleue et jaune, les couleurs nationales. « Mais il ne faut pas oublier d’où ils viennent et leur capacité à modifier leur agenda selon les opportunités d’offre le débat politique, jouant avec les limites de l’acceptable ».
La politologue Anne Demker considère que « sur le plan idéologique, le SD est assez proche du Front National. C’est un parti anti-libéral, avec un aspect conservateur ethnico-nationaliste »
Se voiler la face
Les autres pays scandinaves ont depuis longtemps une droite populiste bien implantée dans leur paysage politique. Les Suédois se targuaient alors de toujours l’avoir tenu à l’écart, confirmant ainsi leur réputation de gens tolérants et ouverts.
« Les sondages ne laissaient aucun doute. Depuis le début des années 2000, sa progression a été lente mais régulière. Derrière les conséquences politiques, c’est l’image que les Suédois ont d’eux-même qui s’écroule. Non, nous ne sommes pas différents des autres, ni meilleurs », analyse Daniel Poohl. « Il est certain que beaucoup vont tenter d’expliquer le score du SD par le vote protestataire contre l’establishment, que les gens votent sans adhérer à leurs idées, mais ce ne sera qu’un moyen de se voiler la face, de refuser la réalité ».
Une société moins tolérante ?
Depuis les années 70, avec l’arrivée progressive de migrants originaires du Moyen-Orient, de Somalie et d’Afghanistan succédant aux Finlandais, Hongrois et Yougoslaves, la Suède est devenue moins homogène que dans les années 50, âge d’Or de référence.
Le pays fait donc face aux mêmes défis d’intégration que ses voisins européens et se doit de s’adapter au multiculturalisme. « Nous pourrions penser que les gens deviennent moins tolérants, mais c’est faux. En réalité, la grande majorité des citoyens reste ouvert et accepte l’évolution multiculturelle de leur société. Sauf qu’en même temps, ces changements visibles provoquent une radicalisation de ceux qui sont contre. Cette minorité devient plus active, plus visible, et c’est cela qui égratigne la belle image du Suédois » analyse le rédacteur en chef d’Expo.
Une analyse ethnique
Les partis traditionnels et les médias sont tout aussi troublés, confus par ce nouvel acteur, qui prétend dire tout haut ce que pense tout bas le peuple. Habitués au consensus, les attaques envers le SD sont souvent maladroites et uniquement basées sur un fait moral: « il est mal de penser comme cela », sans autre argument. Alors qu’en face, les leaders du parti populiste assènent les électeurs de statistiques interprétées en leur faveur. Juste avant les élections, ils avaient publié un rapport sur les viols en Suède, qui seraient majoritairement le fait d’immigrés. « Ils n’ont fait qu’éplucher les rapports de police et ont ensuite analysé l’ensemble sous un angle ethnique. Succès garanti. Et personne n’a pensé à le faire sous un angle social ou de sexe » commente Daniel Poohl.
« Le débat de fond du SD repose sur la question : qui peut faire partie de la société suédoise ? Pour eux, il est clair que homogénéité prime sur tout le reste. Et nous pouvons facilement affirmer que plus de 6% des Suédois sont d’accord avec leurs principes mais chez certains, cela n’est pas encore la priorité politique. Si le parti sait gérer sa croissance, il est appelé à durer et à connaître d’autres succès électoraux avant d’atteindre 10 ou 15% des voix, comme un peu partout en Europe ».
Les Suédois sont donc des gens comme les autres.