Côtoyer les Puissants, un café à la main

[1er novembre 2010] Voilà, le Conseil européen, c’est fini. Toutes les bonnes choses ont une fin. Récit.

Comme le faisait remarquer un lecteur à la suite de mon billet précédent, il aurait aimé, lui aussi, pouvoir se rendre sur place avec son appareil photo. Ce n’est malheureusement pas possible.

Pourquoi cela ? Évident. 500 millions de citoyens ne tiendraient pas dans le Justus Lipsius.

Pour compenser cette injustice, voici “comment ça se passe un Conseil”. Avec pour personnages principaux, @LB2S et votre humble serviteur.

Jeudi 28 octobre

15h: passage obligé par la salle d’accréditation pour obtenir le précieux badge. Cela prend 10 minutes grand maximum. Grimace de la part de l’agent de sécurité quand il compare la photo digitale dont dispose le Conseil et moi-même. Merci de me le faire remarquer, 2008, c’était une autre époque.

15h15: arrivée dans le Justus Lipsius, ma nouvelle maison pour les prochaines 24h. Aussitôt je tombe sur @LB2S, en provenance directe de Paris. Je m’installe à côté de lui, dans la grande salle de presse de l’entrée (que nous nommerons ici “la fosse”) grâce à des places réservées à l’avance. Nous sommes idéalement placée, entre l’AFP et Reuteurs (non pas qu’ils soient nos amis – pas encore – mais ça permet d’écouter les conversations). 

15h35: café.

Offert par le Conseil. Oui, il faut le savoir: durant ces deux jours, les journalistes sont traités avec soin. Le café ainsi que la nourriture sont offerts par les institutions européennes. Nous aurons même droit à des croissants le vendredi matin. Non, ce n’est pas une tentative de corruption. C’est une marque de gentillesse et de reconnaissance.

Ne s’étant pas vus depuis un moment, nous nous racontons nos potins respectifs, histoire de se tenir informés: les bruits bruxellois, les histoires de rédacs, etc. Passionnant.

Première rumeur du Conseil: Sarkozy et Barroso se seraient de nouveau engueulés au sujet de…Viviane Reding. Ça devient un classique.

16h: café 2.

Cette fois, nous rencontrons une “connaissance de Twitter”: Dana_Council. Elle travaille pour le service de Presse du Conseil. Il nous arrive régulièrement d’échanger via cet outil. Mais comme les pixels n’ont pas encore atteins le même niveau de réalisme en matière d’échanges humains que le “café”, nous profitons de l’évènement.

Elle nous apprend par exemple que durant la soirée, ils devraient installer un mûr de tweets dans la fosse (via le hashtag #euco). Avec LB2S, nous trouvons que cela est une bonne idée, même si ce dernier milite pour que le hashtag officiel devienne “sommet”. Une sorte de relent de francophonie.

Mais la question qui me taraude: combien de journalistes ici présents utilisent Twitter ? Pas beaucoup.

16h25: café 3.

Pas fait exprès…mais Snejana vient aussi d’arriver…c’est son premier Conseil, du coup, je lui fais le tour du propriétaire. Cafeteria comprise. Elle s’installe avec nous. Mais rapidement car nous allons voir l’arrivée de quelques chefs d’État. Bien trop tard pour espérer voir quelque chose, puisque les photographes sont déjà à l’affût depuis une heure. J’aperçois vite fait, un petit morceau de Cameron.

17h30: après deux heures à tourner et dire bonjour à mes connaissances, je me pose enfin à mon bureau. Je note déjà toutes les infos que j’ai pu grappiller. Surtout via une connaissance travaillant dans un think-tank. A peine terminé, LB2S me lance:

JSeb, il y a Buzek qui va faire sa conférence de presse. Ok, on repart.

L’intérêt de la conférence du Président du Parlement européen réside dans le dossier “budget communautaire”. Les institutions européennes et les gouvernements sont en pleine guerre de tranchées à ce sujet. Les députés veulent 6% d’augmentation. La Commission 5,8%. Les pays (ceux qui paient): 2,91% max.

Buzek nous sort donc le blablabla habituel: l’UE a besoin d’argent pour pouvoir financer les nouvelles compétences de Lisbonne, pour investir dans l’avenir, etc. Tout en rajoutant la phrase choc: “the cost of non-Europe would be higher…”.

Si les formules sont jolies, il n’a pas dû être très convainquant face aux 27 puisque quelques minutes avant la conférence, un document a commencé à circuler parmi les journalistes: une lettre, signée par 11 pays – dont la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, etc –  disant clairement à l’UE: ce sera 2,91% d’augmentation. Pas un centime de plus. A prendre ou à laisser.

Et face à Jerzy (le petit nom de Buzek qui était un peu malade d’ailleurs), le Premier ministre britannique aurait été particulièrement dur.

18h15: retour à ma table.

Les premières rumeurs commencent à circuler concernant la gouvernance économique et la révision du traité de Lisbonne.

Question: comment être au courant des rumeurs ? Explications.

Au centre de la fosse, il y a une grande allée. Et dans cette allée, il arrive que des diplomates s’y baladent, d’un air innocent. Aussitôt repérés, se forme autour d’eux un groupe de journalistes les écoutant religieusement et leur posant des questions avec respect. Voilà, ce sont eux nos sources. Il faut donc scruter les alentours de temps en temps pour voir si de petits groupes se forment et y courir quand c’est le cas. Avec un peu de chance, cela se déroule dans une langue que vous maitrisez. Sinon, vous pouvez toujours demander une trad à un collègue.

19h30: cantine. Très bon.

20h: café. La nuit va être longue.

En me baladant, je tombe par hasard sur une amie journaliste belge que je n’ai pas vu depuis belle lurette. Maintenant elle bosse au Standaart. On potine politique européenne et belge. On échange des infos.

21h: les rumeurs se précisent. Le Traité de Lisbonne va passer à la casserole. Motif ? Réformer la gouvernance économique en pérennisant le Fonds de sauvetage européen mis en place pour la Grèce en mai dernier.

Pour que ce soit possible, l’Allemagne veut des garanties juridiques, que ces nouveaux mécanismes soient inscrits dans le marbre des Traités. Si ce n’est pas fait, elle brandit risque de voir sa Cour Constitutionnelle tout remettre en cause.

Les journalistes sortent alors leur Traité de Lisbonne.

Quels articles seront concernés ? Quelle procédure de modification ? Les diplomates nous disent: le 122 et le 125 peuvent être les heureux élus. Surtout le 122. Pour la ratification, on prendrait le 48.6, permettant de passer outre le Parlement européen dans le cadre d’une “modification limitée”.

Oui mais les Irlandais, devront-ils organiser un référendum ? Il semblerait que non, car ils éviteraient tout nouveau transfert de compétences…Du coup, pas sûr qu’il y ait la possibilité de suspendre les droits de vote quand un État ne respecte pas le pacte de stabilité.

Qui va préparer tout cela ? Un mandat devrait être remis au Président du Conseil, Herman van Rompuy.

Et la Commission dans tout ça ? Elle ne fera qu’épauler HVR. Ok, donc Barroso s’est encore fait avoir et mettre sur la touche.

Sinon côté ambiance ? Le diner a pris du retard. Et il semblerait que ça soit un peu tendu. Certains pays ayant de grosses réserves sur tout cela.

22h: le diner devrait se terminer. Je croise une connaissance du service Presse du Conseil. Il me dit de ne pas rêver, les 27 ne sont pas encore au dessert…Pas avant 23h30 nous lance un autre. Bon, je vais aller rechercher un peu de café…

Au même moment: oh surprise, le mûr de Tweets vient d’être lancé. Et devinez qui sont les deux seuls à y apparaitre ?

Moment de gloire, même si tous les autres journos n’en avaient rien à cirer.

23h30: après de nombreux échanges, discussions, débats, l’ensemble des journalistes connait le résultat des discussions entre Puissants que vous avez pu lire dans la presse le lendemain. Mais à ce moment, il nous fallait juste confirmation via conférence de presse. Avec LB2S, nous montons dans la salle française pour attendre.


00h00: nous commençons à fatiguer sévère. Les remarques fusent dans la salle de presse.

“10ans pour négocier et ratifier Lisbonne. Même pas un an de mise en application et déjà réformé. Ca va être coton à faire avaler au citoyen encore”

00h30: rumeur confirmée. Sarkozy ne viendra pas nous voir. Pas très sympa. Ce seront ses sherpas (diplomates de haut-rang) qui viendront nous parler.

1h15: Conférence de presse by night. Bien entendu, tout est en off, nous n’avons pas le droit de les citer. Nos informations collent à 90% avec ce qu’ils nous déclarent.

2h: LB2S doit terminer son papier. Il fignole, même si l’heure est indécente et que nos journées ont commencé à 7h du mat’…

Moi, je glandouille. L’avantage de ne pas écrire pour la presse quotidienne. Toutefois, bonne nouvelle: durant l’après-midi, un journal mag m’a pris un papier pour la semaine prochaine, autour justement de la réforme du Traité (et la trouille qu’éprouvent les gouvernements et institutions européennes envers tout ce qui ressemble de près ou de loin à un référendum).

2h25: nous quittons le Conseil. Alléluia.

3h30: dodo.

Vendredi 29 octobre

8h10: réveil. Souffrance.

9h15: retour au Conseil. Joie et bonheur.

9h30: petit déjeuner à la cafétéria: café-croissants. Les viennoiseries ne sont clairement pas homologués.

10h30-11h: arrivée de chefs d’Etat. Il reste à traiter: préparation de Cancun, relations avec les USA et le G20. Ils devraient avoir pliés ça en deux heures max.

12h: tout le monde a déjà en main le brouillon des conclusions (astuce: toujours traîner du côté de la photocopieuse pour voir ce qui traîne). Effectivement, Cancun et le reste, ça a été expédié rapidement. L’euro sera sauvé, mais le climat, c’est moins sûr.

12h45: ils sont sortis. Les premières conférences de presse vont commencer. On se réparti le boulot : LB2S va chez Sarko, Snejana chez Angela et moi chez Juncker.

13h: salle de presse luxembourgeoise. Aucune trace de Jean-Claude. Alors que chez les autres, cela a déjà commencé. Mais où est passé JC ?

En discutant avec un journaliste luxembourgeois, il m’explique la politique linguistique: “Juncker va commencer en luxembourgeois, c’est la tradition. Le moment de vie pour cette langue. Ensuite, les journalistes poseront leur question dans la langue qu’ils veulent: français, anglais ou allemand”.

Balèze quand même. Mais mon luxo est très limité. Moien!

Mais pourquoi aller voir cette conférence ? Le Luxembourg, c’est tout petit. Oui c’est vrai. La salle de presse doit être aussi grande que le fameux Grand Duché. Mais Juncker, c’est le patron de l’eurogroupe. Et cela fait 15 ans qu’il est Premier ministre. Autrement dit, c’est un peu le vétéran de l’UE.

Sans oublier un détail: il n’a pas sa langue dans sa poche, nous pouvons donc espérer un petit tacle envers Merkel ou Sarkozy s’il est en forme. Mais bon, pour le moment, on attend…

13h30: LB2S me rejoint…car oui, chez Sarkozy c’est déjà fini alors qu’ici…ben on attend toujours.

13h45: JC is coming!

Belle conférence de presse. Bien plus décontractée que chez les Français ou Allemands. Ici, nous pouvons dire que le dialogue avec le journaliste est direct. Pas de chichi. Et surtout, tout le monde a la possibilité de poser une question (chez Sarkozy, faut bosser pour un gros canard, sinon, c’est dans tes rêves).

Juncker est en forme “moyenne” dirons-nous. Il reste dans les clous, même s’il n’hésite pas à dire que pour la suspension du droit de vote (pour les pays ne respectant pas les critères de stabilité monétaire), ça n’a aucune chance d’aboutir (alors que plus haut, Merkel et Sarkozy y rêvent encore).

14h30: cantine. Toujours très bon.

15h10: retour au travail avec un papier pour Myeurop à terminer puisqu’il doit passer dans l’après-midi (passage donc par la case café).

17h: travail bouclé. Vote à l’unanimité avec LB2S en faveur de prendre une bière avant son train. Réflexion qui sort toute seule: “Carrément, on pourra dire des méchancetés sur l’eurocratie”, ce qui fait marrer l’AFP.

17h15: nous sortons victorieux et la tête haute du Conseil. Mission accomplie.

18h et des bananes: Morale de l’histoire:

Le jour où cela ne me fera plus marrer, le jour où je prendrai cela au sérieux, j’arrête“.