La véritable frontière polonaise
Au moment où la zone euro volait au secours de l’Irlande, la Pologne votait. Focus sur un aspect oublié de la Pologne: sa frontière intérieure.
Le dimanche 21 novembre, les citoyens du grand pays de la “Nouvelle Europe” devaient renouveler les Assemblées régionales et municipales.
Six mois après les élections présidentielles, les Polonais ont confirmé le leadership politique du parti du Président (Bronislaw Komorowski) et du Premier Ministre (Donald Tusk), Plateforme Civique (PO – centre droit).
Selon les chiffres que l’on peut trouver dans la presse nationale concernant le vote pour les Régions (Gazeta Wyborcza):
- Plateforme civique: 33,42%.
- Droit et Justice (PiS – Conservateurs – Parti du défunt Président polonais Lech Kaczynski): 23,33%
- Sociaux-démocrates (SLD – seul parti de gauche visible): 15,82%.
Le taux de participation est estimé à 43,98% (ce qui est correct en Pologne).
Au niveau des municipalités, même chose. PO remporte dès le premier tour la mairie de Varsovie et arrive en tête dans les autres grandes villes du pays comme Cracovie ou Lodz. Beau succès pour un parti qui arrivé au pouvoir en 2007 à la faveur d’élections législatives anticipées.
Toutefois, je voudrais à travers cet article, aborder un autre aspect de ses résultats.
Que se cache-t-il derrière ces résultats ?
L’existence d’une frontière interne à la Pologne. Si les Belges ont leur frontière linguistique, les Polonais en ont une autre: la frontière entre l’Ouest et l’Est.
En effet, les libéraux ont gagné dans 10 des 16 voïvodies (régions). Je n’ai pas encore trouvé de carte actualisée, mais les premiers résultats le montrent déjà: ils contrôleront les 10 voïvodies de l’Ouest. Les conservateurs de Kaczynski auront celles de l’Est. La frontière se situant sur une diagonale: Gdansk/Varsovie/Cracovie (plus ou moins, je schématise).
Ce n’est pas une nouveauté. Cela ne fait que confirmer l’existence d’une dualité polonaise, rarement évoquée dans les médias. Derrière l’aspect géographique, deux visions, deux projets de société s’opposent.
Pourquoi cette division ? A quoi cela correspond ?
Si nous regardons plus loin dans l’Histoire polonaise, cette “ligne de démarcation” correspond quasiment à …l’ancienne frontière entre l’Empire russe et le la Prusse, du temps où la Pologne n’existait plus (1795-1918) et vivait sous la domination étrangère.
Cela peut paraitre lointain, pourtant, les implications en découlant sont encre nombreuses dans la réalité polonaise. Elle fixe encore les limites entre un Ouest industriel (où des Allemands vivaient avant 45) tourné vers l’Europe et un Est rural (où furent installés les Polonais se retrouvant dans les nouvelles frontières russes de 1945) qui est à la traîne sur le plan économique.
La plupart des jeunes Polonais qui ont immigré au lendemain de l’adhésion du pays à l’Union européenne en 2004, venaient de ces régions, comme Białystok, ville située en face de la Biélorussie.
Varsovie la porte de l’Est
Le sujet est délicat à aborder avec un Polonais, mais cette frontière interne polonaise correspond en fait à celle entre l’Europe Centrale et l’Europe de l’Est. Varsovie étant la “Porte de l’Est”.
Un proverbe polonais dit d’ailleurs (grosso modo) : “Le voyageur venant de Berlin et arrivant à Varsovie croit être à Moscou. Et celui, venant de Moscou, croit être à Berlin”.
Pourquoi le sujet est-il délicat ? Le terme “Est” serait péjoratif. Selon les Polonais, l’Est, c’est la Russie, ce grand voisin qui a tendance à être envahissant.
Mais pour avoir passer un an à Varsovie, cette ville n’a rien de “Central”. Cracovie, si.
Une Pologne ballotée
C’est un peu tout le paradoxe de la Pologne de 2010. Deux mondes s’y côtoient.
Affichant les ambitions d’un nouveau Grand de l’Europe, elle cherche à démontrer sa modernité, son ouverture d’esprit et sa capacité à s’intégrer dans un monde globalisé. Sa jeunesse éduquée est l’ambassadrice de cette Pologne.
Pourtant, ces mêmes enfants de Solidarnosc doivent vivre avec le poids d’une société qui exige le respect de codes ancestraux. Il n’est pas rare de les voir le samedi soir, clubber jusqu’à l’excès comme n’importe quel Londonien ou Parisien mais être le lendemain, à 10h, sur les bancs de l’église de la paroisse familiale. Et pas en raison de leur croyance personnelle.
Car existe encore une Pologne défendant des valeurs d’un Age d’Or perdu. Celui d’une société catholique et religieuse, à l’identité forte, menacée par ses voisins mais fière jusqu’à l’excès de son Histoire. La période d’indépendance entre 1918 et 1939 est un point de référence vivace.
C’est le modèle que défendaient les frères Kaczynski et que Jaroslaw continue à prôner, récoltant encore un grand soutien dans une population à 60% rurale. Pas question pour elle de capituler devant une modernité dont ils ne veulent pas et une Union européenne qui serait le tombeau de la Pologne millénaire. Le communisme n’a pas réussi à altérer ces valeurs, qui au contraire, peuvent renaitre depuis 1989.
Quelles évolutions ?
La victoire dès le premier tour des libéraux à Varsovie peut être perçue comme un indicateur d’une Pologne qui mute progressivement. Il faut se rappeler que la ville avait élu Lech Kaczynski en 2002.
Ses premières décisions de l’époque ? Interdire la tenue de la GayPride et ordonner aussitôt la construction du Mémorial de l’Insurrection. Du PiS par excellence: mélange de morale conservatrice et d’exaltation nationale.
La frontière intérieure polonaise est donc mouvante, flottante. Si l’exode rural vers les villes se poursuit, ainsi que le développement économique, les équilibres pourraient être modifiés au détriment des conservateurs et permettre à PO d’asseoir son assise.
Mais, il ne faut pas sous estimer la force de l’héritage nationaliste et religieux. Les ruraux conservateurs ne deviendront pas forcément des citadins libéraux. Loin de là.
Lors de mon passage à Paris en juillet dernier, j’ai pris un café avec mon ancienne directrice de Master à Marne-la-Vallée. Polonaise, elle-même, c’est elle qui m’avait donné l’opportunité d’étudier à Cracovie. Bien entendu, nous avons abordé le sujet. Et son jugement était sévère. Selon elle, une nouvelle élite est en train d’émerger, de ces mêmes campagnes, une élite qui, tout en réussissant grâce aux opportunités de l’économie libérale et de l’adhésion à l’UE, reste fidèle à ses valeurs traditionnelles très conservatrices. Comme toute élite, elle influencera l’avenir de la société.
Et ce n’est pas les sujets de confrontations idéologiques qui vont manquer. Après l’épisode de la Croix devant le Palais Présidentiel, le pays devra bien un jour se pencher sur le problème de l’avortement, des droits des homosexuels ou de l’euro. Reste à voir comment la Pologne négociera le virage.