Pigiste à Bruxelles, la fin de la période probatoire
En avril, quand j’ai officiellement renoncé à chercher un job (ce qui devenait une nécessité vu les crises de panique que provoquait chez moi l’idée de faire autre chose que du journalisme) et me suis lancé dans le spamming à grande échelle des rédacteurs en chef de France et de Navarre, je m’étais donné six mois. Sorte de période d’essai personnalisée pour voir si cela pouvait fonctionner d’être pigiste/correspondant à Bruxelles.
Et donc ?
Au départ, les mises en garde de mes camarades oscillaient entre le « tu ne vas jamais réussir à te lever le matin » et « l’Europe, tout le monde s’en fout, la Belgique encore plus ». Ils avaient donc largement sous estimé mes insomnies, ma capacité à ingurgiter du café, le penchant des Belges pour les crises politiques et l’ignorance de la classe politique française en ce qui concerne le droit européen.
Ben oui. Pas évident évident, mais si vous êtes prêt à sacrifier votre santé et vie sociale, c’est faisable. J’explique.
Se diversifier
Les deux premiers mois, même pas la peine de préciser: financièrement j’étais dans le rouge. Je me prenais râteau sur râteau par les journaux. Heureusement qu’il me restait des fonds cachés au Luxembourg et en Suisse, sinon j’aurais dû avoir recours au trafic de mes organes. La situation institutionnelle belge aidant, à quoi il faut rajouter les élections aux Pays-Bas et la percée de Geert Wilders, j’ai titillé l’équilibre financier en juin. Depuis septembre et les tribulations européennes de Sarkozy, j’arrive à payer mon loyer à l’heure, ce dont mon colocataire se réjouit. Autrement dit: ça commence à payer.
Pour y arriver, je joue sur deux tableaux: écrire à la fois pour la presse grand public comme Slate.fr – probablement mon plus gros client jusqu’à présent – et pour la presse spécialisée qui a besoin de scribouilleurs capables de se pencher sur les dossiers européens. Pour illustrer mon propos: Actuel-Avocat, journal en ligne à destination des avocats (comme son nom l’indique) pour qui je parcours les méandres du droit européen. Très technique, mais tout aussi intéressant.
Être une gentille mouche
A côté de cela, comme je suis incapable de me contenter des salons feutrés de Bruxelles (besoin vital de prendre l’air sinon je fais une crise de rejet), j’essaie de me débrouiller pour partir en reportage à l’occasion d’élections: Pays-Bas en mai et Suède en septembre. Un troisième est à l’étude (du lourd celui là). Ça, c’est un peu la récré du journaliste: passer sa journée à arpenter les villes, à enchaîner les interviews, à discuter avec tout le monde, prendre mille notes et autant de photos pour revenir une semaine plus tard, épuisé mais heureux. La seule difficulté dans ce genre de chose, c’est d’arriver à rentrer dans ses frais. Mais pour le moment, pas encore eu à me plaindre. J’ai eu la chance d’avoir à la fois des contacts et amis dans ces pays, et de tomber sur des rédacs chefs qui s’intéressaient à autres choses que les lapsus de Rachida Dati.
En parlant des rédacs-chef, je suis un peu devenu “une mouche du coche”, toujours à leur proposer des trucs. Parfois, ça passe, parfois non. Avec certains, une bonne relation s’est installée, et j’ai même pu les rencontrer lors de mon passage à Paris en juillet. Ce qui est délicat, c’est de ne pas passer pour celui qui harcèle pour rien.
C’est un vrai boulot à plein temps de bosser le relationnel. Quand un de ceux habitués à répondre ne le fait pas, tu te demandes s’il ne boude pas à cause de ton dernier papier que tu pensais génial mais que lui a du trouver pourri. Justement l’autre jour, un de mes “habitués” était en mode silence radio… je ne faisais pas le malin. C’est pire que d’attendre un coup de téléphone de son ex.
Stop ou encore ?
Aujourd’hui, mon but est de consolider le réseau que j’ai pu construire et renforcer ma base de “clients” (même si je n’aime pas trop ce terme) car je suis encore un peu light et il ne faut pas crier victoire trop tôt. Ca reste encore du précaire, seul le long terme dira si j’arriverais à gagner ma place dans l’univers impitoyable de Bruxelles. Je continue donc à envoyer des CVs à d’autres journaux et à participer à divers projets. Je suis aussi en plein dossier “carte de presse”. Je déteste l’administration…mais bon, cela m’évitera de toujours à avoir à trouver des plans B pour avoir accès aux endroits où elle est nécessaire.
Tout cela donne une vie très remplie. Car il ne faut pas se leurrer. Les 35h sont atteintes en trois jours, grand max. Mes horaires sont totalement instables et malsains. Il m’est déjà arrivé à me coucher à 5h pour terminer un papier mais aussi de me lever à 5h pour un autre. Ma vie sociale en a pris un coup. Le job étant aléatoire, faut profiter de toutes les opportunités sans rechigner même si ça vous empêche de boire des bières à Châtelain. A la mi-septembre, mes amis ont hésité à lancer un mandat d’arrêt européen pour savoir ce que je devenais. Juste avant que ce soit mon corps qui me dise “stop, lève le pied”. Et quand c’est lui qui parle, je suis un peu obligé de l’écouter.
Si je devais faire un calcul horaire, je suis plus proche du petit Chinois que de Christine Okrent. Mais ce n’est pas l’important. Personne n’est journaliste pour l’argent (ou alors il n’a rien compris et s’est bien planté de secteur), ou pour les horaires. C’est plus proche d’un “way of life” comme dirait un ami anglais qui se lance aussi. C’est dur, exigeant et incertain, mais ça en vaut la peine.
Bon ben, je pense donc que je vais m’auto-renouveler mon contrat.
PS: en écrivant ce papier, je me suis mis d’accord avec moi-même pour la date anniversaire. Ce sera le 22 avril, jour de la chute du gouvernement belge d’Yves Leterme. Cela pour rendre hommage à la Belgique et ses querelles politiques qui ont lancé ma « carrière » . Vous en déduirez donc aussi que cela fait six mois que la Belgique rame dans la semoule…et ce malgré le rapport de “Bart le clarificateur” que je viens de parcourir et que je trouve assez…”pas clair”.