Le secret des affaires, ou de l’inconsistance médiatique
Une ombre des couloirs des institutions, un habitué des contrôles de sécurité sans queue ni tête du Parlement, un détenteur du badge jaune.
Je ne vais pas tourner autour du pot: je suis effaré par ce que je lis dans la presse.
Les années m’ont habitué à niveau élevé de n’importe quoi dès que le débat touche aux questions européennes, mais en ce mois d’avril 2016, dans un bel effort collectif, de nouveaux records sont sur le point d’être établis.
Ce billet de blog aura moins d’impact que la vidéo d’une Nicole Ferroni, ou un article du Monde, mais peu importe, j’ai toujours eu un faible pour Don Quichotte.
1/ Le texte est-il dangereux pour la presse ?
La version première, celle proposée par la Commission européenne en 2014, l’était.
En cause, l’article sur les exceptions au respect du principe de secret des affaires, qui comprend les dispositions sur la presse. Il prévoyait que les médias puissent diffuser les informations “légitimes” à leur activité. Derrière l’aspect anodin du terme, il aurait obligé les journaux à justifier leurs révélations devant les tribunaux, de prouver que cela était nécessaire.
Sur ce point, les députés européens ont fait leur job: le mot a sauté lors de la navette parlementaire. Les Etats étaient d’accord pour le conserver, mais le Parlement en a fait une ligne rouge et a obtenu gain de cause.
Reporters sans Frontières, la Fédération européenne des journalistes, l’Association européenne des éditeurs de presse se sont d’ailleurs félicités de cette modification [tout en précisant qu’il faudra surveiller la transposition du texte par les Parlements nationaux] en décembre 2015. Ces trois organisation n’ont pas la réputation d’être des vendus aux multinationales, ou alors, arrêtez-moi de suite.
Voici donc la version adoptée le 14 avril [cliquez pour agrandir]:
Ainsi, quand je lis dans un article du Monde, que cette directive empêcherait de nouveaux Panama Papers, c’est à se demander si les auteurs en question ont ouvert le texte, ou juste écouté les blablas de quelques sources militantes.
2/ Le texte protège-t-il les lanceurs d’alerte ?
Non. Enfin, pas plus que la législation actuelle, ni moins.
Pourquoi ? Simplement parce que c’est une directive “secret des affaires” et non pas la directive “lanceurs d’alerte”. Le Parlement demande un texte sur le sujet depuis des mois, mais la Commission européenne traîne des pieds, redoutant le dossier “qui finit par vous exploser à la figure”.
C’est le côté petits bras de Bruxelles.
Pourtant, avec les récents LuxLeaks, Panama Papers, and co, la pression ne cesse de s’accroître. Si l’exécutif faisait preuve d’un peu d’intelligence politique, il lancerait un tel chantier, et laisserait ensuite les Etats [souvent réticents malgré leurs belles paroles] s’entre-déchirer comme ils savent bien le faire, et passer ainsi pour les affreux de service.
Surtout que la directive qui nous intéresse aujourd’hui, laisse entrouverte la protection des lanceurs d’alerte. Toujours dans l’article sur les dérogations au principe de secrets des affaires, il est dit qu’il est possible de contrevenir à la règle pour “révéler une faute professionnelle ou autre faute, ou une activité illégale, à condition que le défendeur ait agit dans le but de protéger l’intérêt public général”.
Pourquoi la petite précision “à condition” ? Pour éviter que le simple fait de divulguer quelque chose de secret vous place en position de lanceur d’alerte. Ainsi, si vous décidez de rendre public les plans du nouveau joujou de votre entreprise, mécontent de ne pas avoir obtenu une augmentation, vous ne pourrez pas vous faire passer pour le nouvel Edward Snowden.
Ne pas oublier aussi le considérant 20:
“Les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive ne devraient pas entraver les activités des lanceurs d’alertes. La protection des secrets d’affaires ne devrait dès lors pas s’étendre aux cas où la divulgation d’un secret d’affaires sert l’intérêt public dans la mesure où elle permet de révéler une faute professionnelle ou une autre faute ou une activité illégale directement pertinentes. Cela ne devrait pas être compris comme empêchant les autorités judiciaires compétentes d’autoriser une dérogation à l’application de mesures, procédures et réparations lorsque le défendeur avait toutes les raisons de croire, de bonne foi, que son comportement satisfaisait aux critères appropriés énoncés dans la présente directive”.
Comme m’a dit un juriste avec qui j’ai discuté du sujet, “c’est mal rédigé, mais ça permet d’éclairer le reste du texte”.
3/ La définition du secret des affaires est-elle trop large ?
Pour le coup, le législateur ne s’est pas trop foulé, il a repris celle de l’Organisation mondiale du commerce. Ça donne quelque chose d’assez vague comme :
- un secret d’affaire est une information qui a “une valeur commerciale parce qu’elle est secrète”;
- un secret d’affaire est une information qui “fait l’objet de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables (…) destinées à les garder secrètes”.
Pourquoi si peu de précisions ? Car cela permet à chaque Etat de conserver sa propre définition, quand il va transposer le texte dans son droit national. Je rappelle que cette directive ne fait qu’harmoniser à minima ce qui existe déjà, histoire de simplifier les cas transnationaux [genre, une entreprise française espionne une rival italienne, etc].
Dans un souci de clarté, on aurait aimé en savoir plus sur ce qui est couvert ou non, mais comme souvent, le législateur refile la patate chaude à la justice et aux futures cas.
Par ailleurs, le texte ne prévoit pas de sanctions pour ceux qui divulgueraient des secrets d’affaire. Là encore, toute la partie pénale est laissée aux Parlements nationaux, et à leurs pratiques habituelles.
Lien avec l’actualité: le cas d’Antoine Deltour, jugé au Luxembourg pour avoir sorti les LuxLeaks, ne change en rien avec cette nouvelle directive.
Dans le débat français, certains affirment que cette nouvelle législation ne va faire que renforcer des entreprises comme Monsanto. Cette dernière refuse de rendre public des informations concernant des produits dangereux comme le glyphosate. Selon les détracteurs du géant américain, il abuserait de la définition des secrets des affaires.
Je connais assez mal le fond du dossier, mais pensez-vous vraiment qu’une loi, quelle qu’elle soit, sur le secret des affaires, empêchera une entreprise d’abuser du principe ? Non. A moins de le supprimer complètement [même les Verts au Parlement ne demandent pas une telle chose, juste une réduction à minima de son champ d’application].
Vous trouverez toujours une boite pour utiliser des procédures judiciaires à son avantage, retarder des décisions ou pourrir la vie des lanceurs d’alerte et des journalistes. Imaginer que sous prétexte de défendre “l’intérêt général”, on puisse enlever à certaines entités des droits, comme celui de se défendre, est illusoire et dangereux [surtout que les journalistes et lanceurs d’alerte ne sont pas non plus infaillibles]. Cela fait partie du jeu démocratique.
L’objectif des lois est au contraire d’offrir une protection adéquate à ceux qui peuvent être mis en danger par les menaces judiciaires des entreprises ou institutions mises en cause dans des révélations. Et c’est pour cela que les dispositions spécifiques sont si nécessaires [cf. nos points 1 et 2].
Et donc ?
Cette directive n’est pas parfaite, et surtout, elle aurait besoin d’être complété avec sa petite sœur sur les lanceurs d’alerte [voir la position du socialiste Guillaume Balas qui voulait conditionner le vote de l’une à celui de l’autre].
Mais de là à en faire une menace pour la démocratie et la liberté d’expression ou y voir la main secrète de puissants lobbys sur le point de dévorer la veuve et l’orphelin, il y a un monde. Depuis le 10 avril, nous avons assisté à un emballement médiatique irrationnel, une course à échalote de l’alarmisme.
Les quelques ONG à l’origine du mouvement, comme Corporate Observatory Europe, ont joué leur partition, rien d’exceptionnel en soi. Ce qui est plus inquiétant, c’est que les journalistes ont suivi, sans broncher. Mention spéciale pour ceux qui ont été jusqu’à alimenter l’affaire.
C’est bien. Le suicide collectif de la profession continue.
Très bon texte, merci ! Dommage qu’il n’y ait pas un bouton pour le partager sur facebook
il suffit de faire un copier et de le coller du lien sur votre mur sur FB, bien amicalement, roger santos (debrestmême)…
pourquoi un bouton copie simplement l’url de l’article dans ton navigateur,et colle le dans la boite de partage facebook elle va se changer toute seule
http://www.jslefebvre.eu/euroblabla-2/2016/04/18/desinxtox-le-secret-des-affaires-ou-de-linconsistance-mediatique/
Non : heureusement qu’il n’y a pas de boutons “partage” ! Je me sens moins suivi quand mon détecteur de mouchards indique “0”.
Difficile en effet d’entendre la vérité des faits dans ce brouhaha d’ONG et de médias. Donc, simplement, merci! Et que le débat éclairé et constructif continue bien sûr…
Bonne information mais texte illisible, indigeste. Je me suis endormi à la 20 ligne!
Demandez à un allemand de passer cette mème info en allemand: Il le fera en 20 lignes claires et précises.
Le français est une belle langue pour la gastronomie, l’amour et le theatre.
Ce text-ci est la raison mème pourquoi on ne peut tout simplement percer les broderies pour en arriver au fond des “choses”.
Je ne suis pas d’accord, c’est très clair. Evidemment ce n’est pas le journal de Pif le chien 🙂
Loooool…… et l’allemand monopolise le débat parce qu’il faut attendre la fin de la phrase pour vraiment en comprendre les sens………………..jonglerie quand tu nous tiens……
Bonjour,
Cette analyse est très intéressante, mais serait-il possible de résumer les arguments des verts et du groupe GUE qui ont voté contre la directive?
Merci,
Paul
Qu’on arrête de dire “Bruxelles a décidé” au lieu de “les Institutions Européennes ont décidé”. Bruxelles ne se résume pas aux Institutions et elles ne décident pas pour Bruxelles. C’est un raccourci caricatural qui stigmatise une ville et la dénigre en permanence depuis des décennies.
1) Sur le fond, l’exception « lanceur d’alerte » dépends de deux conditions « pour révéler une faute professionnelle ou une autre faute ou une activité illégale, à condition que ▌le défendeur ait agi dans le but de protéger l’intérêt public général ; ».
Je continue à considérer que les rulings de PWC avec le Luxembourg ne constituent ni une faute professionnelle, ni une autre faute ni une activité illégale mais bien l’application parfaitement légale du droit luxembourgeois. Dans ces conditions Antoine Deltour ne serait pas protégé par la directive.
Voir aussi http://www.taxjustice.net/2016/04/01/the-european-trade-secrets-directive-how-to-silence-tax-whistleblowers/
2) Sur le contexte, après dieselgate Volkswagen, après Luxleaks et après Panama Papers c’était une faute politique grave d’adopter ce texte.
C’est ce que je dis. Deltour n’est ni plus, ni moins protégé par cette directive que dans la situation précédente. La balle est dans le camp de chaque pays. En effet, le point d) des exemptions permet à chaque gouvernement de prévoir des cas spécifiques pour protéger un “intérêt légitime”, ce qui laisse toute la marge de manoeuvre possible pour une législation nationale sur les lanceurs d’alerte.
Vous fatiguez pas on a compris depuis longtemps!
L’UE est par design faite pour protéger le big business…
Tout va dans ce sens…
Le reste c’est du blabla…
Votre article passe sous silence l’équilibre général du texte ainsi que ses dispositions les plus critiques. C’est bien de vouloir ausculter le travail des collègues, c’est mieux de le faire complètement avant de conclure au suicide collectif de la profession! Alors:
1- le texte est-il dangereux pour la presse?
La même question a été posée à Mme Constance Le Grip, rapporteur du texte, par un journaliste de la BBC. Sa réponse est, techniquement, la meilleure possible: “je ne suis pas juge”.
L’exception 5.a que vous citez est une référence à la Charte des Droits Fondamentaux, qui s’applique qu’il y soit fait référence ou non. Le fait d’avoir retiré le mot “légitime”, comme nous le demandions depuis novembre 2014, est très important mais n’empêchera pas les poursuites: les articles 2 (définitions) et 4 (obtention illicite d’un secret d’affaires) sont tellement larges qu’ils permettent d’essayer, sachant que ce texte, censé réglementer l’espionnage industriel entre acteurs économiques, prévoit des mesures d’urgence (provisoires) et laisse le champ libre aux états pour prévoir des amendes très élevées voire du pénal, et que les entreprises poursuivent déjà bon nombre de critiques à de simples fins d’intimidation, même si elles savent qu’elles vont perdre sur le fond. Ce texte leur donnerait des outils supplémentaires pour le faire. Cette exception, ainsi que l’article 1.2 qui exclut l’exercice du droit d’informer du champ d’application du texte, est une indication forte pour le juge quand celui-ci devra évaluer les faits. Le problème de fond demeure: avec ce texte censé réprimer l’espionnage industriel mais qui en profite pour permettre de poursuivre des non-concurrents, le juge devra faire la part des choses entre d’un côté la protection de droits politiques fondamentaux et de l’autre la protection d’intérêts économiques. Obtenir une jurisprudence CJCE, ça se compte en années… pendant lesquelles la situation légale ne sera pas claire et les poursuites possibles. Aux états d’être aussi explicites que possible lors de la transposition, en espérant que certains progressistes bien connus (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Bulgarie…) n’en profitent pas pour rendre les conditions de travail des journalistes impossibles. Vous avez choisi d’interpréter positivement le CP de décembre dernier de la FEJ, si vous lisez celui de jeudi dernier vous verrez qu’il est loin d’être aussi insouciant:
“European journalists and media associations are concerned that this Directive could put journalists at risk therefore limiting their ability to investigate and report about businesses.”
http://europeanjournalists.org/blog/2016/04/14/adoption-of-the-trade-secrets-directive-by-the-european-parliament-investigative-journalism-must-be-guaranteed/
2/ Le texte protège-t-il les lanceurs d’alerte ?
Vous avez bien répondu: non. Alors qu’il donne aux entreprises des moyens juridiques supplémentaires pour les poursuivre. Nous avons bataillé pour durcir l’exception 5.b, qui est aujourd’hui vraiment meilleure que la proposition de la commission et même que le rapport Le Grip de juin dernier: la première traduction FR proposée, votée en JURI en janvier, contenait deux erreurs importantes. “For the purpose of protecting” avait été initialement traduit par “pour protéger” au lieu de “dans le but de protéger”, ce qui est essentiel si on veut faire évaluer l’intention et non l’acte (comme l’exception de bonne foi dans le droit de la presse); et “wrongdoing” avait été traduit par “malversation” au lieu de “comportement inapproprié”, qui est mieux car plus large. La protection des lanceurs d’alerte a donc progressé, mais on garde un texte en-deçà des standards internationaux car il opère un renversement de la charge de la preuve au profit de l’employeur.
3/ La définition du secret des affaires est-elle trop large ?
Oui, mais je n’ai pas la même analyse que vous quant aux raisons.
“Je rappelle que cette directive ne fait qu’harmoniser à minima ce qui existe déjà, histoire de simplifier les cas transnationaux [genre, une entreprise française espionne une rival italienne, etc].”
Non, et c’est bien le problème. La majorité des états de l’UE réprime aujourd’hui le vol de secret d’affaires au titre de la concurrence déloyale, ce qui est très bien car cela restreint l’application du texte aux… concurrents. Avec ce texte qui utilise le droit de la propriété intellectuelle, tout le monde se retrouve concerné.
“Par ailleurs, le texte ne prévoit pas de sanctions pour ceux qui divulgueraient des secrets d’affaire.”
Pas de pénal, non, car ce n’est pas une compétence UE (et a priori c’est pourquoi nous avons affaire à une directive et pas un règlement – d’un coup le mieux légiférer ne pose plus pb…), mais pour le reste il y a bcp de choses prévues (tout le chapitre II)
“Lien avec l’actualité: le cas d’Antoine Deltour, jugé au Luxembourg pour avoir sorti les LuxLeaks, ne change en rien avec cette nouvelle directive.”
De fait: l’exception 5.b ne le protégerait pas car du pt de vue du Luxembourg les rescrits fiscaux ne sont ni une fraude, ni illégaux, ni inappropriés (vu que ts les états pratiquent la “saine concurrence fiscale” comme disait Juncker avant Luxleaks…).
“Mais de là à en faire une menace pour la démocratie et la liberté d’expression ou y voir la main secrète de puissants lobbys sur le point de dévorer la veuve et l’orphelin, il y a un monde. Depuis le 10 avril, nous avons assisté à un emballement médiatique irrationnel, une course à échalote de l’alarmisme.”
Si vous aviez lu mon enquête de 2015 sur le lobbying à la commission
http://corporateeurope.org/power-lobbies/2015/04/towards-legalised-corporate-secrecy-eu
et suiviez comme moi (et pas mal de journalistes spécialisés) la question du droit d’accès aux informations des entreprises, et saviez à quel point les grandes entreprises utilisent toutes les ressources du droit pour défendre agressivement leur réputation, vous n’expédieriez pas du revers de la main ces questions graves avec un bref “ça fait partie du jeu démocratique”… 🙁
“Les quelques ONG à l’origine du mouvement, comme Corporate Observatory Europe, ont joué leur partition, rien d’exceptionnel en soi. Ce qui est plus inquiétant, c’est que les journalistes ont suivi, sans broncher.”
C’est un peu plus large que ça! Les premiers à s’être mobilisés contre le texte après la publication par la Commission sont les syndicats de cadres à cause des menaces sur la mobilité professionnelle; ensuite nous et d’autres (dont la FEJ) les avons rejoints à cause des menaces sur l’accès aux données de régulation (études industrielles pour homologation de produits mis sur le marché) et sur le travail de la presse. La mobilisation depuis janvier, qui a appelé au rejet, a été un peu différente car certaines organisations (et les socialistes) étaient persuadées qu’elles ne pourraient pas obtenir plus vu la domination du parlement par les conservateurs (grâce aux voix du FN le texte serait passé jeudi même si tous les socialistes avaient voté contre) et perdraient toute influence sur le texte en appelant au rejet. Prendre le pire pour acquis permet de justifier beaucoup de choses… Mais bon, on peut et doit respecter les différences d’analyse et de positionnement. Pour notre part (et vous avez probablement vu que nous n’étions pas seuls, http://corporateeurope.org/fr/power-lobbies/2016/03/protection-des-secrets-daffaires ) nous avons appelé au rejet car nous pensons que cela reste un texte abusif, qui au prétexte de lutter contre l’espionnage industriel permet d’ouvrir des poursuites contre de gens qui ne sont pas des espions mais veulent seulement faire leur travail (d’enquêteur, de scientifique ou de salarié voulant changer d’employeur) ou suivre ce que leur dicte leur conscience. Nous le pensons toujours.
Bonjour Martin,
Ton commentaire rejoint notre conversation d’hier matin sur Twitter. Mes réponses n’ont pas changé en soi.
1/ L’article 2 et 4 ne s’appliqueront pas à la presse car justement, l’article 5 est là. Pas plus compliqué que cela. Et je maintiens que je ne vois pas comment on peut interdire l’accès à la justice à une entreprise ou entité qui souhaite se défendre [même de mauvaise foi] à moins de contrevenir à la charte des droits fondamentaux, celle-là même qu’on prétend défendre…mais bon. Le but, c’est que justement, les procédures soient rejetées.
Dans le droit de la presse en France, un politicien peut bien tenter des procédures de diffamation ou je ne sais quoi contre les médias, mais dans la majorité des cas, il est débouté car la loi de 1881 sont très protectrices [enfin, pour ce qu’il en reste encore….].
2/ Là, on est d’accord sur les lanceurs d’alerte. Ce n’est pas un texte sur le sujet, qui conserve le même flou qu’avant dans le statut juridique. Donc là, se passe deux choses: soit c’est la Commission qui bouge, soit ce sont les Etats lors des transpositions.
3/ Je n’ai jamais imaginé que CEO en vienne à soutenir la directive, je connais très bien votre positionnement et cela fait aussi parti du jeu démocratique [et je vous cite et reprends régulièrement dans mes papiers]. Ce que je dénonce dans ce billet, c’est l’absence de nuance apportée dans les médias sur le fond du texte. Que les journaux en soient arrivés à simplement commenter le buzz d’une vidéo d’une humoriste, sans vérifier le fond, pour en suite en faire des papiers à charge, est dangereux et ne correspond pas à l’éthique de la profession.
Cher Monsieur,
Le droit de critique dont vous usez aujourd’hui est un pendant de la liberté d’expression, ce que vous n’ignorez pas étant donné votre statut de journaliste professionnel. Ce principe même de liberté d’expression qui constitue le socle de l’exercice de votre profession sans lequel il serait impossible et qui justifie de la part de vos pairs un certain émoi quand les institutions européennes, tentent de le réduire, et ce dans quelque proportion que ce soit.
Vous n’êtes pas non plus censé ignorer une des règles de votre profession qui consiste à recouper et vérifier le sérieux de vos informations, tout en maniant la prudence et la nuance.
Je me permets donc de vous faire un bref rappel du déroulé de cette directive. Vous n’avez pas tort en précisant que le nouveau texte comporte certaines améliorations – insatisfaisantes à de nombreux égards, excusez l’exigence s’agissant d’une liberté fondamentale pilier de notre démocratie -tant la rédaction du texte d’origine était catastrophique.
Pourtant, du haut de votre analyse, vous passez sous silence des épisodes de manière peu respectueuse, à mon sens, lorsque vous désignez avec beaucoup de condescendance comme “un emballement médiatique irrationnel” ou “une course à échalote de l’alarmisme”, ce qui a précisément permis aux euro députés de commencer à prendre conscience de la portée et des risques de leur texte et de le faire évoluer. Non sans difficulté, si vous aviez suivi les nombreux aller retour, les rendez vous et les messages pour les y sensibiliser, mais je ne vous demande pas tant d’effort.
En bref, sans cette “grossière” mobilisation de la part de vos confrères, et aussi et surtout celle de CEO (Martin Pigeon) et d’autres ONG qui ont suivi pas à pas les étapes de ce texte, il aurait été adopté tel quel. Ne les remerciez surtout pas, usez de votre droit de critique que vous semblez bien mieux manier.
Voilà pour la forme, quant au fond que vous effleurez à grands coups de certitudes, je dois reconnaître être assez impressionnée par vos certitudes sur l’application dudit texte. Moi même, modeste ouvrière du droit en ma qualité d’avocate de droit de la presse, je n’avoue pouvoir garantir aux journalistes que je conseille chaque jour dans l’exercice de leur profession, qu’ils ne pourront être inquiétés par l’application de ce texte, qui quoi qu’on en pense et qu’elle qu’en soit la portée, constitue une nouvelle arme judiciaire mise à la disposition des entreprises pour les poursuivre, que leur action soit ou non fondée.
Vous qui devez probablement faire de nombreuses enquêtes dans le cadre de votre activité, vous n’êtes pas sans savoir que les entreprises n’hésitent jamais à manier l’arme judiciaire pour intimider ou dissuader, et qu’étant donné le contexte financier fragile des structures de presse, subir quelques années de procédures n’est pas sans conséquence. On peut donc légitimement s’inquiéter de ce texte qui rendra les conditions d’enquête et de divulgation d’informations encore plus périlleuses.
Et puisque vous être ferru de Don Quichotte, je conclurai par cette phrase ” Du dire au Faire, la distance est grande.”
Bonjour,
Si vous ne pouvez pas encore dire à vos clients les répercussions précises de cette directive, rassurez-vous, c’est tout à fait normal. Il s’agit justement d’une directive, et les Etats ont deux ans pour la transposer, à leur manière, avec leurs particularités. C’est d’ailleurs ce que souligne la fédération européenne des journalistes, que l’étape cruciale à scruter, c’est la transposition. Mais je ne vous demande pas tant d’effort.
http://europeanjournalists.org/blog/2016/04/14/adoption-of-the-trade-secrets-directive-by-the-european-parliament-investigative-journalism-must-be-guaranteed/
Si l’UE avait voulu faire quelque chose de précis, clair et unifié, on se serait retrouvé avec un règlement.
Enfin, je ne critique pas l’action de CEO ou des ONG, j’ai écrit qu’elles ont au contraire joué leur partition. Ce que je critique, c’est l’absence de nuance des journalistes, qui passent plus de temps à commenter le buzz d’une vidéo d’une humoriste, qu’à regarder ce que contient vraiment un texte de loi. Si nous ne sommes là que pour passer les plats à ceux qui prétendent nous représenter et/ou nous défendre, je ne vois pas l’intérêt d’avoir une carte de presse.
“Moi même, modeste ouvrière du droit en ma qualité d’avocate de droit de la presse, je n’avoue pouvoir garantir aux journalistes que je conseille chaque jour dans l’exercice de leur profession, qu’ils ne pourront être inquiétés par l’application de ce texte”
Pourtant, il suffit de lire le texte. Ce qui est à la portée d’un avocat.
L’article 1 :
“La présente directive ne porte pas atteinte à:
a) l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information établi dans la Charte, y compris le respect de la liberté et du pluralisme des médias;”
L’article 5 sous a) : “Les États membres veillent à ce qu’une demande ayant pour objet ▌l’application des mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive soit rejetée lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation alléguée du secret d’affaires a eu lieu dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes:
a) pour exercer le droit à la liberté d’expression et d’information établi dans la Charte, y compris le respect de la liberté et du pluralisme des médias”
Considérant 19 (qui éclaire les précédents) : “Bien que la présente directive prévoie des mesures et des réparations pouvant consister à prévenir la divulgation d’informations afin de protéger le caractère confidentiel des secrets d’affaires, il est essentiel que l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information, qui englobe la liberté et le pluralisme des médias, comme le prévoit l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après dénommée “Charte”), ne soit pas restreint, notamment en ce qui concerne le journalisme d’investigation et la protection des sources des journalistes”
Bonjour Jean-Sébastien,
merci pour la réponse au commentaire trop long, un bref commentaire sur ton
“L’article 2 et 4 ne s’appliqueront pas à la presse car justement, l’article 5 est là. Pas plus compliqué que cela.”
J’aimerais que ce soit aussi simple, mais in fine ce sera au juge d’apprécier la situation. J’espère que la transposition “bordera” strictement ce point et que les textes nationaux seront suffisamment clairs pour éviter tout abus. C’est ce que dit Reporters sans Frontières
https://rsf.org/fr/actualites/adoption-de-la-directive-sur-le-secret-des-affaires-le-journalisme-dinvestigation-doit-etre
J’entends bien ton argument qu’il n’est ni possible ni souhaitable de priver les propriétaires de secrets d’affaires d’accès à la justice mais je ne vois pourquoi cette législation spécifique sur l’espionnage économique devrait concerner les non-concurrents, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui. Si vol il y a, il y a des législations spécifiques pour cela.
sachez toutefois qu’en France la jurisprudence actuelle sur le parasitisme permet d’agir contre les non concurrents… et oui!
Vous amalgamez tranquillement “révéler une faute professionnelle ou autre faute, ou une activité illégale” avec divulguer quelque chose de secret comme le dernier joujou sorti de la R&D pour justifier la suspicion sur le lanceur d’alerte. (suicide journalistique ???). Mais le problème de fond reste la preuve qu’il doit apporter. Or celle-ci appartient forcément à l’entité soupçonnée, qui aura beau jeu d’en invoquer le caractère secret, de demander l’inculpation du curieux pour vol et maintenant révélation de secret des affaires. Cerise sur le gâteau, on pourra poursuivre le salarié ou le journaliste local, mais on pourra toujours courir pour faire inculper le concurrent chinois ou coréen. Pour le journaliste, c’est encore pire, car faute de preuves il ne peut montrer que des corrélations (ex le prix identique d’un service), qui porte du soupçon là où il n’y en a peut-être pas. Et de toute façon ces mesures sont totalement inefficaces vis à vis de l’espionnage industriel (c’est mon job), j’ai donc la faiblesse de croire qu’elles n’en sont pas la raison.
Intéressant commentaire.
Par contre, il aurait été heureux de la part d’un journaliste d’éviter le grand nombre de fautes d’orthographe et de grammaire dont le texte est émaillé…
“Reporters sans Frontières, la Fédération européenne des journalistes, l’Association européenne des éditeurs de presse se sont d’ailleurs félicités de cette modification [tout en précisant qu’il faudra surveiller la transposition du texte par les Parlements nationaux] en décembre 2015. Ces trois organisation n’ont pas la réputation d’être des vendus aux multinationales, ou alors, arrêtez-moi de suite.”
Pourquoi parler de cet article qui date effectivement de Décembre 2015 ? https://rsf.org/fr/actualites/rsf-et-les-organisations-de-medias-saluent-les-amendements-la-directive-sur-le-secret-daffaires
donc bien avant les “panama papers”
Pourquoi ne pas mettre celui du 14 avril 2016 plutôt ? du même site de RSF ?
“Adoption de la directive sur le secret des affaires : le journalisme d’investigation doit être sauvegardé”
“Reporters sans frontières (RSF), la Fédération européenne des journalistes (FEJ), l’Association européenne des éditeurs de journaux (ENPA), l’Association européenne des médias magazines (EMMA) et l’Union européenne des radios-télévisions (UER) prennent acte de l’adoption par le Parlement européen en séance plénière le 14 avril de la directive sur le secret des affaires, dont le but est de protéger les entreprises européennes de l’espionnage industriel. Les organisations sus-mentionnées ont cependant, de façon continue, exprimé leur inquiétude sur les conséquences sérieuses que ce texte pourrait avoir sur la liberté des journalistes et des médias.”
“Ces trois organisation n’ont pas la réputation d’être des vendus aux multinationales, ou alors, arrêtez-moi de suite.”
Du coup je vous arrête tout de suite !
Les Panama Papers n’ont rien changé…en décembre 2015, on avait déjà eu les Luxleaks.
Le CP que j’ai utilisé dit la même chose: il exprime la préoccupation concernant le texte et ses transpositions à venir. Car là, est l’enjeu, dans la manière dont les Etats vont l’insérer dans leur droit national et le niveau de protection qu’ils retiendront.
“Mais de là à en faire une menace pour la démocratie et la liberté d’expression ou y voir la main secrète de puissants lobbys sur le point de dévorer la veuve et l’orphelin, il y a un monde. Depuis le 10 avril, nous avons assisté à un emballement médiatique irrationnel, une course à échalote de l’alarmisme.”
J’ai un peu de mal à vous suivre, comment pouvez vous d’un côté fulminer contre certains journaux qui scandent leurs inquiétudes sur cette directive, quand vous même vous nous expliquez qu’au final ça ne protégera pas les lanceurs d’alerte, qu’il y a certaines parties du texte qui sont “mal rédigées”, “Pourquoi si peu de précisions ?” ” Ça donne quelque chose d’assez vague” etc
Pourquoi critiquer l’emballement superfétatoire des médias pour cette directive quand vous même vous ne semblez pas totalement convaincu par celle-ci (votre débat avec Martin Pigeon est assez révélateur je trouve des innombrables interprétations que l’on peut faire du texte… )
J’ai pu débattre de mes inquiétudes avec Virginie Rozière (Députée européenne, socialiste) qui a voté pour cette directive et la seule défense qu’elle m’ait fourni c’est un lien vers votre article … (comprenez mon inquiétude …)
Je suis très étonné que vous puissiez être effaré de l’engouement excessif des médias quand on voit comment sont traités les lanceurs d’alertes et journalistes aujourd’hui …
Merci pour l’honnêteté intellectuelle dont vous faîtes preuve et qui manque à la profession. Le corporatisme de certains leur fait dire des âneries et c’est regrettable.
A lire également: http://jeanmariecavada.eu/secret-daffaires-le-vrai-du-faux/
“juste un correspondant bruxellois”, cher JS? D’accord. Alors “juste un textologue” pour désintoxiquer les désintoxiqueurs. Et pour donc souligner que la définition du “secret” sur laquelle repose tout l’édifice juridique est absolument et délibérément tautologique: “un secret d’affaire est une information qui “fait l’objet de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables (…) destinées à les garder secrètes”.” Ce “peu de précisions”, comme vous dites, n’est pas destiné à permettre “à chaque Etat de conserver sa propre définition, quand il va transposer le texte dans son droit national” mais à autoriser au contraire chaque entreprise à désigner comme “secret”… ce qu’elle et elle seule désigne comme secret. Pourquoi pas, par exemple, ses comptes, comme l’a récemment proposé un amendement socialiste? http://www.liberation.fr/france/2016/01/29/secret-des-affaires-la-fuite-en-avant_1429925 Par ailleurs, depuis le mensonge qui a vendu, en France, le compteur Linky comme un instrument grâce auquel les foyers seront à même de contrôler leur consommation d’électricité, je ne crois pas avoir été confronté à mensonge plus effronté — car feignant de miser sur les l’éclairement, l’information, l’implication du citoyen-consommateur — que celui qui fait des PME — et de l’emploi tant qu’à faire — les premiers bénéficiaires de la directive en question. Ce n’est pas la GGPME (par ailleurs légitimement soucieuse des questions d”intelligence économiques) qui est à l’origine de la mise de cette directive au programme du Parlement européen mais l’association BusinessEurope, équivalent européen du MEDEF et porte-parole des intérêts des très grandes entreprises. Démagogie pour démagogie, celle dont les députés ayant voté le texte font preuve depuis quelques heures, Pervenche Beres en tête, à grand renfort de “pédagogie” ulcérée, me semble ne rien avoir à envier à celui des humoristes… Cordialement
Bonjour,
Pour avoir discuté avec des négociateurs du texte, aucun Etat ne voulait toucher à la définition qui était un copié-coller de celle de l’OMC, et qui permet justement à chacun de faire ce qu’il souhaite. Le texte est aussi clair, une entreprise ne peut pas placer sous le sceau du secret des affaires des documents que lui réclame l’autorité publique, comme ses comptes.
Après, je suis d’accord, on peut critiquer le choix de se limiter à une définition vague, ce qui nécessite à la fois d’attendre les transpositions nationales pour en savoir plus, et la jurisprudence.
Mais cela n’a rien à voir avec la presse puisqu’elle est exclue du champ d’application de la directive. En gros, une entreprise qui tentera de poursuivre un journal en affirmant qu’il a violé le secret des affaires se verra répondre par un juge: “Et ? L’article 5 dit que dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression, charte des droits fondamentaux, etc, les médias ne sont pas concernés”.
Quant au sujet de l’argumentaire PME, je suis d’accord avec vous, c’est juste de l’enrobage. Des petites entreprises avec un savoir-faire très particulier ou une technologie juste brevetée en profiteront, mais à ce petit jeu, les grands groupes sont aussi très demandeurs. Mais c’est à la mode, de clamer son amour pour les PME, à chaque législation. On assiste à la même chose avec le TTIP, si on écoute la Commission européenne, c’est l’artisan du Vaucluse qui fait pression pour que le traité transatlantique soit signé d’ici fin 2016.
Bien à vous.
Merci pour ce retour, cher M. Lefebvre, et bonne suite à vous
S. Pagès