Les citoyens (et la presse) n’intéressent que bien peu la Commission européenne
Ce billet de blog, il me trottait dans la tête depuis un moment, remis à plus tard pour cause d’actualité européenne quelque peu agitée. Mais comme mon confrère de Libération a dégainé le premier, en décrivant les relations dégradées entre la presse et la Commission européenne, autant donner à un écho à ses lignes.
Je souscris entièrement à l’analyse de Jean Quatremer. J’irais même plus loin. Personnellement, il m’arrive de me demander pourquoi l’exécutif communautaire fait semblant de communiquer vers l’extérieur, avec une conférence de presse quotidienne, et un service de porte-paroles faisant travailler plus de cinquante personnes. Cela s’apparente plus à une perte de temps (et d’argent), qu’à un exercice démocratique. Quelques personnes chargées de répondre à des demandes techniques suffiraient largement.
Mieux vaut être lobbyiste
Attention, je ne veux pas dire que les attachés presse de l’institution font mal leur travail. Certains sont meilleurs que d’autres, comme partout, mais c’est surtout qu’ils n’ont aucune marge de manoeuvre, aucune ligne. Ils ne peuvent rien dire, ne veulent rien dire ou sont terrifiés à l’idée de dire quelque chose de non autorisé.
Jean-Claude Juncker se targuait en 2014 de nouer une bonne relation avec la presse et de mieux communiquer vers l’extérieur. Après tout, il affirme diriger “la Commission de la dernière chance”. Or, quatre ans après, le bilan est catastrophique. Ses proches conseillers (dont le fameux Martin Selmayr) ont verrouillé la machine, bunckérisé l’institution.
Le rendez-vous quotidien de midi presse de la Commission est depuis bien longtemps vide de sens. Pour un correspondant, y aller n’a que peu d’intérêt si ce n’est de croiser les consoeurs et confrères avant d’aller manger un morceau.
A chaque question, le porte-parole en charge du dossier se contente bien souvent de lire un document préparé à l’avance. Avec la crise de l’Aquarius, le summum a été atteint lorsque Margaritis Schinas (qui dirige le service des porte-paroles) s’est contenté de lire un article d’une directive ou d’un règlement en guise de réponse… D’où la colère des journalistes présents, bien visible dans la vidéo relayée sur les réseaux sociaux, via Brut.
Récemment, un ancien journaliste devenu lobbyiste, me disait que le plus étonnant dans ses nouvelles fonctions est qu’il a bien plus facilement accès à l’information qu’auparavant.
« Si j’appelle un fonctionnaire européen, il me répond, alors qu’avant, on me renvoyait directement au service presse, qui lui ne dit rien ».
Fake News toi-même
Le lot de consolation est que quand vous êtes en poste à Bruxelles depuis quelques années, vous pouvez très bien vivre sans les canaux officiels de communication de la Commission. Vous avez normalement assez de sources disséminées dans l’administration ou les cabinets. Mais allez convaincre un journaliste non spécialiste de s’intéresser à l’UE à partir de là…
Mais ce mutisme de la Commission s’accompagne d’autres dérives plus inquiétantes. Depuis plusieurs mois, elle présente les textes par séquences successives. Ainsi, sur trois, quatre ou cinq jours, elle sort une directive toutes les 24h, rendant impossible tout travail sérieux sur le contenu.
En chargeant l’agenda au maximum, soit la couverture médiatique devient superficielle, soit inexistante. Sachant qu’il arrive que les commissaires descendent en salle de presse présenter leurs initiatives sans que nous ayons pu lire les textes. Idéal pour éviter les questions trop dérangeantes. La mascarade n’est pas loin.
Le corps de presse bruxellois ne peut pas encaisser une telle charge de travail, etc. Martin Selmayr ou Margaritis Schinas le savent très bien. Bien souvent, les journaux ont un ou deux correspondants, maximum. A Contexte, même avec quatre journalistes à Bruxelles, nous n’arrivons pas à suivre et nous devons faire appel à des pigistes en renfort (mes salutations à la compta).
Mieux encore, depuis peu, quand vous arrivez à prendre le temps de vous plonger dans le gloubi-boulga présenté par la Commission, et que vous découvrez que certaines choses ne collent pas, qu’avez-vous en guise de réponse ?
« Fake news ». Si, si. Telle fut la réponse du commissaire à l’Agriculture, quand les chiffres réels des coupes budgétaires de la future Politique agricole commune (2021-2027) ont fini par sortir dans la presse. Le triple que ce qu’il avait annoncé quand même… le tout confirmé par des documents internes de la Commission. Mais peu importe. FAKE NEWS dit Phil Hogan.
A ce niveau là, ce n’est plus du mutisme, mais du mépris. Et quelle crédibilité accorder à une institution qui bidouille à ce point les chiffres, entre sa communication et la réalité ?
Une autre priorité
Mais au fond, ces polémiques, ces réactions, intéressent-elles la Commission ? Ces journalistes qui s’agacent en salle de presse que leurs questions soient ignorées ou qui prennent sur leur temps libre pour écrire un billet de blog, est-ce si important ?
A ce sujet, l’anecdote récente d’une de mes consœurs est la plus parlante. A l’automne 2017, alors que depuis plusieurs semaines, que dis-je, mois, l’affaire du glyphosate provoquait des remous dans les opinions publiques nationales, la Commission européenne restait en retrait. Elle se camouflait derrière les procédures et le fait que la balle était dans le camp des Etats (en effet, ils devaient voter pour ou contre le maintien du produit sur le marché). A eux de décider. Réformer l’analyse scientifique ? Revoir a prise de décision pour les autorisations de pesticides pour tenter de regagner la confiance des citoyens ? Circulez, il n’y a rien à voir.
Enfin… jusqu’au jour où le Financial Times a tiré critiqué la Commission dans un édito. Sa.cri.lè.ge. Il faut savoir que le FT est la lecture quasi-obligatoire dans les étages supérieurs du Berlaymont, Brexit ou pas.
Dès le lendemain, Margaritis Schinas s’est fendu d’une réponse, dans les colonnes même du FT, dans laquelle il annonce des mesures à venir présentées prochainement… réformer les procédures d’autorisation des pesticides.
Cette petite histoire démontre bien le tropisme de l’exécutif européen actuel.
Sa priorité est de s’adresser au petit monde politico-économique, c’est-à-dire les lecteurs du FT en quelque sorte. Et aucun changement n’est au programme. La Commission n’a aucune envie de parler aux citoyens, de se plonger dans les débats d’opinion publique. Jean-Claude Juncker ou les commissaires se permettent juste quelques discours grandiloquent de temps en temps avec quelques mots clés (paix, démocratie, protection, sans oublier le fameux compétitivité), histoire de donner le change.
Incroyable comportement, désinvolture coupable, tout cela à l’approche des élections européennes. Etonnez-vous que les extrêmes l’emportent.